
Comment rendre la formation continue universitaire plus agile ?
Date
25 et 26 mai 2023
En présence
École nationale d’administration publique (ENAP), campus de Montréal
4750, avenue Henri-Julien
Montréal (Québec)
H2T 2C8
Thèmes présentés
- Présentation du thème : « Comment rendre la formation continue universitaire plus agile ? »
- La reconnaissance des acquis et des compétences
- La granularisation des formations en compétences
- L’écosystème de la formation continue
- Rendre la formation continue universitaire plus inclusive et diversifiée
- La collaboration interuniversitaire
De gauche à droite : Jean-François Gascon, directeur de la Direction des services conseils (DISC) de l’ENAP, Mélanie Tremblay, coordonnatrice équipe Andragogie numérique et innovation, ENAP, Donrock Pierre Alexis, analyste de recherche Andragogie numérique et innovation, ENAP</p.
« Comment rendre la formation continue universitaire plus agile ? »
« Nous traversons actuellement une période de turbulences. Et, si vous pensez que le marché du travail a évolué rapidement, vous n’avez encore rien vu », a souligné d’entrée de jeu André Raymond, directeur du Service du développement professionnel de l’Université Laval et président de l’ACDEAULF lors de la douzième édition des Journées d’étude de l’ACDEAULF qui se sont tenues les 25 et 26 mai derniers à l’École nationale d’administration publique (ENAP) de Montréal. « Plusieurs phénomènes viennent bousculer le monde du travail, comme les changements climatiques ou l’intelligence artificielle. La clé pour traverser ces bouleversements, c’est l’éducation. Nous avons l’expertise, chez nos professeurs, dans nos classes, pour mieux comprendre ces phénomènes. C’est donc le rôle de la formation continue de transmettre ces savoirs », a-t-il poursuivi.
Pour mieux répondre à ces besoins changeants, il faut faire montre d’agilité, a rappelé pour sa part Jean-François Gascon, directeur de la Direction des services-conseils (DISC) de l’ENAP. « C’est d’autant plus vrai que les apprenants d’aujourd’hui réclament une certaine flexibilité, tant au niveau du lieu d’enseignement, de la forme, mais aussi de la durée. » C’est donc sur cette question qu’ont été amenés à réfléchir les quelque 70 participants réunis pour l’occasion.
Le concept de l’agilité a été emprunté au domaine de la création de logiciels, a rappelé Daniel Baril, directeur général Institut de coopération pour l’éducation des adultes (ICÉA) plus tard dans la journée. « Ce faisant, ils ont voulu casser le moule et ne plus attendre que leur logiciel soit parfait avant de le lancer. Chaque fois qu’une fonctionnalité est prête, ils l’intègrent, la mettent en ligne et demandent à leur client de la tester. Finalement, c’est un peu comme construire un avion en vol. » Ce qui a mené, en 2001, à la publication du manifeste de l’agilité. Depuis, cette approche de la sphère de la programmation a influencé plusieurs domaines, y compris celui de l’éducation.

Diane-Gabrielle Tremblay. Professeure, École des sciences de l’administration, Université Téluq
C’est le cas à l’université TELUQ, où l’agilité, la souplesse et la flexibilité font partie de l’ADN de cet établissement, a rappelé Diane-Gabrielle Tremblay, professeure à l’école des sciences de l’administration. « Dans le marché du travail actuel, les travailleurs ont besoin de continuer de se former. Il faut donc développer davantage de formules, par exemple avec des durées variables, pour rejoindre le plus grand nombre. » Or, cette flexibilité vient avec certains défis, notamment au niveau du budget, alors que le financement des universités n’est pas toujours au rendez-vous, ajoute-t-elle. Cela engendre aussi parfois une résistance au changement. « Il est toutefois intéressant de revoir nos modèles en matière de pédagogie en ligne pour amener les étudiants à être actifs et à s’engager avec la matière. »

Benoît Ringuette. Conseiller en pédagogie universitaire et technopédagogue, Service du développement professionnel, Université Laval
Conseiller en pédagogie universitaire et technopédagogue au service du développement professionnel de l’Université Laval, Benoit Ringuette a quant à lui rappelé que, dans cette université, le service de placement pour les étudiants, la direction de la formation continue et l’université du troisième âge ont été fusionnés afin d’offrir une formation continue sur un continuum allant des études jusqu’à la retraite.
Il a aussi présenté le processus de conception que lui et son équipe ont mis en place pour assurer l’agilité dans les projets de formation continue. En actualisant cet outil, son équipe a impliqué toutes les parties prenantes. Aujourd’hui, ce processus permet à chaque participant de savoir quels sont ses responsabilités, ses livrables, ses échéanciers, etc. « Cela nous permet non seulement de répondre plus rapidement et de façon plus flexible aux demandes, mais apporte plusieurs bénéfices », a constaté Benoit Ringuette. Tout compte fait, cet outil de gestion a influencé positivement le climat de travail, a permis de responsabiliser chaque acteur et favorise la collaboration. Ce qui augmente non seulement la qualité des projets, mais aussi l’efficacité des équipes, a-t-il fait valoir.
La reconnaissance des acquis et des compétences

Rachel Bélisle. Professeure associée, Faculté d’éducation, Université de Sherbrooke
La reconnaissance des acquis et des compétences (RAC) s’avère un outil précieux pour augmenter l’agilité et rendre la formation plus accessible. Si l’utilisation de ce processus à l’échelle universitaire soulève quelques enjeux, plusieurs avancés sont à surveiller, ont expliqué les participants à cet atelier animé par Rachel Bélisle, professeure associée à la faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke.

Carmen Sicilia. Directrice, Relations avec les Autochtones, Université McGill
« 61 % des Autochtones ne terminent jamais leurs études secondaires », a souligné Carmen Sicilia, directrice des relations avec les Autochtones de l’Université McGill. Et rares sont les personnes noires qui se rendent jusqu’aux études supérieures, a-t-elle aussi rappelé. La reconnaissance des acquis fait partie des outils pour éliminer ces barrières, alors que cette institution s’est engagée à augmenter le nombre de personnes noires et autochtones en ses rangs en 2017, puis en 2020.
L’université a donc lancé un projet-pilote qui a permis de dresser un état des lieux de la RAC non seulement au Québec, mais aussi dans le reste du pays et à l’international. L’équipe a aussi répertorié les logiciels ainsi que les passerelles existantes.

Haya Alsakka, conseillère, Reconnaissance des acquis et des compétences, Université McGill
Trois programmes ont été ensuite utilisés comme exemple pour ce premier test dans des domaines comme l’administration publique, où on retrouve plusieurs Autochtones, l’informatique, secteur qui compte plusieurs travailleurs n’ayant pas de diplôme formel, ou les ressources humaines. Ce projet a permis de soulever plusieurs enjeux en lien avec la RAC, notamment au point de vue des définitions, a expliqué Haya Alsakka, conseillère en RAC dans cette université. Ainsi, il est difficile d’évaluer les compétences si on ne s’entend par sur ce que cela signifie. Il n’y a pas non plus de structure claire déterminant les étapes à suivre pour obtenir cette reconnaissance. « L’autre barrière, c’est le temps, alors que les professeurs ont peu de place dans leur horaire pour se pencher sur ces questions et évaluer les compétences. »
Idem pour les employés administratifs qui doivent vérifier les profils, contacter les coordonnateurs de programmes pour effectuer des vérifications, trouver les effectifs pour s’occuper des évaluations, etc. De plus, les politiques actuelles de l’université s’appliquent surtout aux apprentissages formels. « Nous sommes d’ailleurs en train d’élaborer une politique qui inclura aussi la reconnaissance des apprentissages formels et informels », a-t-elle précisé.

Philippe Horth. Adjoint au vice-rectorat à la formation et à la recherche, UQAR, campus de Lévis
Des enjeux qui rejoignent les autres universités, a pour sa part rappelé Philippe Horth, adjoint au vice-rectorat à la formation et à la recherche, à l’Université du Québec à Rimouski, campus de Lévis, qui s’implique aussi au Bureau de coopération interuniversitaire (BCI). Selon lui, il reste encore beaucoup de sensibilisation à faire, notamment auprès des professeurs, qui sont souvent amenés à évaluer les compétences des élèves.
De plus, les élèves perçoivent souvent ce processus comme étant opaque, puisque les critères ne sont pas toujours clairs. L’opération s’avère aussi complexe dans un contexte de pénurie — et de roulement de personnel — puisque la formation des employés est toujours à recommencer. Et l’exercice s’avère encore plus compliqué quand il s’agit d’étudiants étrangers, a-t-il détaillé.
Définir clairement les termes, standardiser la méthode d’évaluation des acquis pour éviter les iniquités, s’assurer que cela ne varie pas d’un professeur et d’une université à l’autre et mettre en place des systèmes d’information et des bases de données font partie des pratiques gagnantes à ce chapitre, a poursuivi Philippe Horth. Selon lui, le fait que le gouvernement du Québec ait annoncé du financement pour la RAC extrascolaire pourrait aussi accélérer son déploiement dans les universités.
D’ailleurs, l’UQAR a travaillé de concert avec les universités du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT) et en Outaouais et (UQO) pour développer un système intégré sur la RAC. À terme, les étudiants pourront connaître la progression de leur demande en temps réel, en plus d’avoir accès à plusieurs informations sur la reconnaissance de cours directement sur le web. À plus long terme, le tout sera même intégré directement au processus d’admission, alors que les étudiants des programmes techniques pourront savoir avec précision quels cours pourraient leur être reconnus, donne-t-il en exemple.
La granularisation des formations en compétences

Édouard Rotondo. Président, Studio 7 Communications
« La vie est une série d’écrans et un monde de distraction », note Édouard Rotondo, président de Studio 7 Communications. En effet, entre le cellulaire, la tablette, l’ordinateur et la montre intelligente, l’attention des travailleurs est constamment sollicitée. Or, la granularisation des compétences, c’est-à-dire le faire de découper l’apprentissage en petits contenus, pourrait bien faire partie des solutions pour capter l’attention des apprenants et leur offrir un mode de livraison adapté à leurs besoins.
C’est du moins ce qui est ressorti de l’atelier portant sur ce sujet, animé par trois panélistes. « Les cerveaux sont surstimulés et recherchent la distraction. Par exemple, le fait de se connecter aux médias sociaux stimule la dopamine et le cerveau en redemande ! Si bien que cela a un impact sur la formation, puisque cela affecte notre capacité de concentration. Il faut donc repenser notre stratégie et innover pour capter et conserver cette attention », a expliqué le président de cette firme qui produit autour de 500 formations en ligne et sur mesure par année.

Mélanie Tremblay. Coordonnatrice équipe Andragogie numérique et innovation, ENAP
La granularisation figure parmi les solutions pour répondre aux besoins de formation des travailleurs dont le temps est compté, en plus de dynamiser l’apprentissage, a souligné Mélanie Tremblay, coordonnatrice de l’équipe andragogie numérique et innovation à École nationale d’administration publique de Montréal (ENAP). « Il s’agit d’un outil qui vient en appui à la formation et qui s’utilise pour encoder une notion précise, rappeler un contenu ou consolider un apprentissage. Ce contenu est composé de granules pédagogiques, de petites unités d’apprentissage. Certains parlent même de contenus très courts, autour de 5 à 6 minutes », a-t-elle expliqué. Chaque tranche doit être présentée de façon judicieuse, sans découper le tout en trop petites unités. « C’est un défi de conserver le sens », a-t-elle ajouté.

Geoffroi Garon-Épaule. Conseiller pédagogique TIC et recherche, Direction des programmes techniques et recherche, Collège de Bois-de-Boulogne
Cette façon de faire offre plus de souplesse dans la formation, note Geoffroi Garon-Épaule, conseiller pédagogique TIC et recherche, à la direction des programmes techniques et recherche au Collège de Bois-de-Boulogne. Découper les formations en compétences permet de sortir des parcours traditionnels et d’offrir la possibilité aux apprenants de créer leur propre cheminement, en fonction de leurs besoins, a-t-il fait valoir.
Une approche pédagogique qui pourrait être facilitée par l’obtention de badges numériques. Une technologie qui se développe depuis 2011, avec le lancement d’Open Badges, qui s’est imposé comme le standard dans cette industrie, a-t-il rappelé. « Actuellement, quelque 500 000 octroyeurs existent et près de 74 millions de badges ont été accordés dans le monde. En plus de motiver les apprenants, qui progressent par paliers un peu comme dans un jeu vidéo, ces badges permettent de reconnaître l’apprentissage plus informel, à travers le bénévolat par exemple, et de certifier ces acquis. »
De plus, chaque badge encapsule différentes informations qui peuvent être consultées par les humains et les algorithmes, comme la compétence acquise, les critères d’évaluation ou encore si c’est reconnu par un ordre professionnel. Une technologie déjà adoptée dans quelques programmes de certains établissements américains, comme le Madisson College et l’Université de Boston, a-t-il donné en exemple. Éventuellement, une standardisation permettrait d’interconnecter les universités, enchaîne-t-il.
Justement, la reconnaissance et la valorisation de ces compétences font partie des défis de cette approche, a rappelé Mélanie Tremblay, alors que des solutions comme les badges ne font pas l’unanimité. « On veut aussi que nos granules soient plus génériques, pour être plus agiles, et que le contenu puisse être utile dans différents milieux, tout en étant adapté à la réalité de l’utilisateur. Ce qui n’est pas si simple. » S’assurer que le contenu est adapté aux utilisateurs, standardiser la notion de compétences et développer une technologie permettant aux apprenants de colliger leurs savoirs tout au long de la vie font aussi partie des autres enjeux associés à cette granularisation.
L’écosystème de la formation continue
Huit ministères et organismes gouvernementaux. 46 ordres professionnels. Six centrales syndicales. 18 universités. 48 cégeps. 61 centres de services scolaires. Des centaines d’acteurs des secteurs économiques, communautaires, du travail… L’écosystème de la formation continue est extrêmement complexe, si bien qu’il est difficile d’en avoir une vue d’ensemble.

Julien Lambrey de Souza. Directeur du Service de la formation continue et de la formation hors campus, UQAR
« Si les différents intervenants autour de la formation continue connaissent mal le milieu où ils interviennent, ne se connaissent pas, imaginez ce qu’il en est pour un individu, une organisation, qui doit naviguer à travers ce système », a expliqué Julien Lambrey de Souza, directeur du Service de la formation continue et de la formation hors campus de l’Université du Québec à Rimouski (UQAR). Cette méconnaissance engendre aussi une certaine concurrence entre les acteurs.
Pour l’occasion, le directeur a présenté les résultats préliminaires d’une étude menée par la Commission des partenaires du marché du travail du Québec (CMPT) qui sera officiellement publiée en octobre prochain. Un travail sur lequel a participé activement l’ACDEAULF, tout comme le Bureau de coordination interuniversitaire (BCI). Un bon point de départ, qui permet d’avoir une idée de la complexité de cet écosystème, note-t-il.

Biba Fakhouri Vice-doyenne à l’innovation, aux communications et à la formation continue, Université de Montréal
« Toutefois, à l’ACDEAULF, nous voulons prendre la bulle universitaire et l’éclater pour mieux comprendre comment les universités fonctionnent en formation continue, comment elles sont structurées, organisées, financées, etc. », a-t-il détaillé. En effet, la formation continue est un univers à géométrie variable, alors que certaines universités y incluent des formations créditées, d’autres pas, a rappelé Biba Fakhouri, vice-doyenne à l’innovation, aux communications et à la formation continue de l’Université de Montréal.
Idem pour la clientèle de la formation continue, parfois définie comme les apprenants adultes ou non traditionnels, a-t-elle souligné. « Mais qui sont ces adultes ? Qui sont ces personnes au parcours non traditionnel ? Personnellement, je préfère parler de population étudiante aux parcours non linéaire, car ils peuvent se retrouver partout, non pas seulement dans les facultés d’éducation permanente. »

Daniel Baril. Directeur général – ICÉA
Dans cet écosystème, il ne faut pas négliger le secteur privé international, a ajouté Daniel Baril, directeur général Institut de coopération pour l’éducation des adultes (ICÉA). En effet, en plus des nombreuses institutions qui offrent de la formation continue, gravitent de grands joueurs du privé, comme LinkedIn ou Coursera, qui disposent d’importants moyens financiers pour la recherche et le développement.
La grande tendance est à la diversification, alors que la barrière de la langue s’atténue avec l’intelligence artificielle (IA), qui permet la traduction en simultané, note-t-il. « On voit aussi apparaître des acteurs qui sont segmentés et qui offrent des services dans une niche particulière, uniquement dans le mentorat ou la reconnaissance des acquis, par exemple. » Ce qui va aussi de pair avec une multiplication des approches, qui va du microlearning, aux programmes longs ou encore au hyflex, un modèle qui combine enseignement hybride et flexibilité. On voit aussi apparaître des classes intelligentes, où la technologie est carrément imbriquée dans les lieux physiques, dénote Daniel Baril. L’internet des objets, le big data et l’analytique en éducation sont aussi à surveiller.
Sous ces influences, les environnements personnalisés d’apprentissage commencent à faire leur apparition, combinant microlearning, programmes longs, présentiel, mentorat ou coaching, le tout orchestré par l’IA, poursuit-il. Ces robots peuvent être branchés pendant un échange sur Teams et apporter des compléments d’information aux participants, quand ils se posent une question. « L’IA pourrait même proposer un module de formation en ligne à compléter, puis faire passer un petit test de connaissance à la personne avant de lui octroyer un badge. »
Si bien que le concept d’apprentissage 3.0 — en ligne, accessible à tous, partout et en tout temps — commence à faire son apparition. « Le monde de l’éducation est dans une période de transition où les points de repère disparaissent. Je pense qu’il faut réinventer le système d’éducation pour former les Québécois du 21e siècle », conclut-il.
Rendre la formation continue universitaire plus inclusive et diversifiée

Jian Wang. Directrice adjointe du Centre de recherche pour l’inclusion des personnes en situation de handicap (CRISPESH)
Au Canada, une personne sur cinq vit avec un handicap. Et 70 % d’entre elles doivent composer avec un handicap invisible, a rappelé Jian Wang, directrice adjointe du Centre de recherche pour l’inclusion des personnes en situation de handicap (CRISPESH). D’où l’importance de rendre plus inclusive la formation, un angle à ne pas négliger.
S’assurer que les textes soient simples, penser aux sous-titres, proposer une diversité d’activités d’apprentissage, miser sur le langage inclusif, vérifier que les formations en ligne soient accessibles aux logiciels pour personnes malvoyantes : il existe différentes façons d’adapter les contenus pour répondre aux spécificités de tous, tout en reflétant la diversité des réalités.

Mylène Bourassa. Conseillère en formation, Université Laval
Or, surtout dans des formations en ligne et asynchrones, appliquer les principes de la conception universelle de l’apprentissage et de l’inclusion ne s’improvise pas, a rappelé Mylène Bourassa, conseillère en formation à l’Université Laval. « C’est important d’y réfléchir dès la première étape, car si on part dans la mauvaise direction, il est ensuite difficile de revenir en arrière. » Selon elle, il faut prévoir jusqu’à 15 % de plus de temps pour penser accessibilité, parfois plus lors des premiers essais.
La conseillère souligne aussi l’importance de se former pour bien comprendre ce mode de livraison. Tester certaines portions du produit pour s’assurer que cela réponde bien aux besoins, sensibiliser tous les membres de l’équipe à ces enjeux et être à l’affût des technologies font aussi partie des meilleures pratiques, selon elle. « Dans certains cas, il faut aussi adopter certaines stratégies hybrides. Par exemple, quand nous avons préparé une formation sur l’équité, la diversité et l’inclusion, nous avions aussi prévu du contenu en présentiel parce que ce genre de sujets peut déstabiliser. »

Héloïse Côté. Chargée de cours, Université Laval
Pour sa part, Héloïse Côté, chargée de cours à l’Université Laval applique aussi ces principes, mais directement en classe. « Pour s’adapter, il faut se coller aux besoins des étudiants, se demander qui sera le public cible et se montrer ouvert, accommodant. » Par exemple, il est possible d’offrir le choix du mode d’évaluation aux élèves, tout cela en maintenant des attentes élevées. Autre exemple, la durée de ces évaluations. « Pourquoi est-ce que les examens doivent durer trois heures ? Le fait de raccourcir l’évaluation, tout en laissant quand même le temps maximum, peut être bénéfique non seulement aux personnes qui auraient un déficit d’attention, par exemple, mais aussi pour les élèves qui auraient mal dormi. » Autrement dit, même s’ils ciblent certaines personnes en particulier, ces accommodements peuvent être utiles à tous.
Cela dit, les ressources financières pour offrir cette accessibilité manquent souvent, constate Jian Wang, ce qui en ralentit l’adoption. « Or, si à la base les formations sont déjà accessibles et inclusives, il ne restera qu’un tout petit pourcentage d’élèves à accommoder, ce qui coûtera moins cher », fait-elle valoir. Il faut aussi passer outre ses propres biais inconscients et remettre en question ses façons de faire. Bref, la sensibilisation, la formation et l’accompagnement sont essentiels pour continuer d’avancer sur cette voie, résume-t-elle.
La collaboration interuniversitaire
La collaboration avec d’autres institutions permet de miser sur la complémentarité, tout en augmentant l’agilité. Or, ce travail d’équipe comporte quelques obstacles. Enjeux et bonnes pratiques ont été soulevés lors de cet atelier.

Fabrice Labeau. Professeur à l’Université Mc Gill et président des affaires académiques du BCI
Professeur à l’Université McGill et président des affaires académiques du Bureau de coopération interuniversitaire (BCI), Fabrice Labeau a dressé un portrait de la collaboration qui existe au sein de ce regroupement qui réunit les universités québécoises. Selon lui, s’il est relativement simple de s’entendre sur de grandes orientations communes, les choses se compliquent lorsqu’on se penche sur des objectifs spécifiques. « Seulement sur la question de la formation continue, certaines universités considèrent seulement le non crédité, d’autres uniquement le crédité et d’autres les deux. On voit donc que les intérêts sont assez différents par rapport à la structure organisationnelle. » Or, cette collaboration est possible, puisque plusieurs dossiers, comme la coordination des échanges étudiants, sont déjà gérés conjointement.
En matière d’agilité, si on exclut la formation continue, le milieu universitaire est plutôt lent à réagir, constate-t-il aussi. Or, dans le contexte actuel, le gouvernement discute avec les universités afin qu’elles prennent une plus large part pour diminuer la rareté de la main-d’œuvre, ce qui requiert une certaine flexibilité et rapidité de réaction. « Depuis deux ans, nous participons à une table de concertation avec le ministère du Travail, ce qui n’était jamais arrivé avant. À long terme, cela nous permettra, en tant qu’institutions, de mieux collaborer autour de cet objectif commun et d’offrir à la formation continue la place qui lui revient. »

France Charles Fleury. Coordonnateur Consortium InterS4 à l’Université du Québec à Rimouski
Coordonnateur du Consortium interrégional savoirs, santé et services sociaux (InterS4) à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR), France Charles Fleury, a quant à lui présenté ce service de courtage de connaissances lancé en 2010. « En région, nous vivons des problèmes communs, alors est-ce qu’on peut se mettre ensemble pour partager nos connaissances et nos bonnes pratiques, mutualiser nos efforts ? » C’était l’intention de départ de cette collaboration portée par l’UQAR, qui regroupe plusieurs CIUSSS et CISSS de différentes régions, ainsi que les universités du Québec en l’Abitibi-Témiscamingue (UQAT) et de Chicoutimi (UQAC).
« Nous avons réalisé qu’il était difficile, faute de temps, pour le personnel du réseau de la santé d’avoir accès aux meilleures pratiques, de s’assurer que celles-ci étaient vraiment valables et à jour », a-t-il rappelé. Ce consortium se concentre donc sur le partage de connaissances touchant l’organisation des services et le fait de vieillir en santé en région. Pour cela, InterS4 fait notamment le pont entre le savoir des chercheurs universitaires, à l’affût des tendances et des recherches les plus récentes, et le réseau de la santé.
Pour qu’un tel projet fonctionne, il faut s’assurer que les différents partenaires jouent un rôle actif dans la gouvernance, afin d’identifier les orientations stratégiques. De la même manière, les services proposés doivent se coller sur les besoins. « Mais surtout, il fallait un intérêt commun et des gens investis. C’était le cas, alors que les PDG des établissements étaient convaincus que les régions devaient unir leurs forces et qu’il fallait se rapprocher des milieux universitaires. » L’équipe s’est ensuite entendue sur les paramètres et les objectifs de cette cogestion. Les méthodes de gestion laissent place à une certaine souplesse, pour répondre rapidement aux besoins, ajoute-t-il.

Christelle Lison. Professeure au département de pédagogie de la Faculté d’éducation, Université de Sherbrooke
Cela fait d’ailleurs partie des éléments essentiels pour une collaboration réussie, a souligné Christelle Lison, professeure au département de pédagogie de la Faculté d’éducation, à l’Université de Sherbrooke. « C’est notre intelligence collective qui va nous amener à la réussite », a-t-elle souligné. La professeure a pour sa part présenté I-mersion CP, un projet interétablissements et interordres. « Cette initiative vise la formation continue des conseillers pédagogiques des cégeps ainsi que des universités. Nous voulions créer une communauté, avec du codéveloppement et de la formation. »
La professeure a rappelé l’importance de l’équipe dans la réussite d’un tel projet qui implique des collaborateurs de différents établissements. « Pour cela, il faut s’engager dans une mission commune, se fixer des objectifs et être mutuellement responsables des résultats. » De plus, les rôles et responsabilités de chacun doivent être clairement définis, sans compter qu’il faut s’assurer que les membres de l’équipe ont les ressources pour réussir. « Le succès repose aussi sur les relations interpersonnelles et professionnelles », a-t-elle souligné. Bref, il faut se mettre à l’écoute de l’autre et s’engager dans une relation gagnant-gagnant.